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Arpentage du village olympique

À l’automne dernier, nous – Élisabeth Chabuel écrivaine et Anne-Laure H-Blanc plasticienne – avons « arpenté » le Village olympique, quartier grenoblois périphérique que nous méconnaissions. Il s’est agi, chacune avec nos médias respectifs, de nous confronter au lieu, de nous immerger et de l’appréhender dans toute sa dimension. Ce projet a fait suite à une proposition de résidence de création initiée par l’association Médiarts.

En cheminant dans les paradoxes de ce territoire – avec à l’esprit cette phrase de Georges Didi-Huberman : Cheminer dans les contradictions et inventer pour cela sa propre voie ou voix dialectique (Pour commencer encore, Dialogue avec Philippe Roux, Argol, 2019, p. 99) –, nous avons souhaité nous attacher aux choses mineures, au détail, à l’infime et à l’intime. Notre objectif étant de pister la trace, pour capter dans les indices qu’elle nous révèle, ce qui nous est invisible, mais qui nous donne un accès au monde visible.

Nous ne considérons pas le territoire du Village olympique uniquement comme un territoire géographique, nous le considérons aussi comme un territoire « mental », c’est à dire un territoire de la pensée et du rêve, de la mémoire ou de la réminiscence des personnes qui l’habitent ou le visitent.

Dès le premier contact, nous avons été saisies par la prégnance du vivant et de la nature (végétation luxuriante, présence de nombreux oiseaux, de chats, etc) dans un espace urbain à forte densité humaine. L’architecture et la présence d’œuvres d’art dans l’espace public nous ont également interpellées.

Nous avons aussi été saisies par le lien fort qui existe entre géographie et histoire au sein de ce territoire, où interfèrent constamment le réel et le symbolique, le proche et le lointain, l’ici et l’ailleurs. D’un côté, la montagne, notamment le Vercors : la toponymie des rues faisant référence aux grands noms de l’alpinisme et à ceux de la Résistance. De l’autre, la mer, la Méditerranée, incarnée par l’histoire plus récente du Village Olympique où depuis sa construction et son aménagement en 1967, arrivent et se côtoient des populations différentes, notamment maghrébines, puis turques, puis africaines, puis plus récemment migrantes aux origines diverses.

Ainsi l’espace-temps y est composé d’une quantité de strates sous-tendus par des récits variés et relativement complexes, que nous révèlent les nombreuses traces, empreintes, marques et stigmates laissées dans le paysage. Elles proviennent à la fois d’un passé oublié (ou refoulé) mais aussi d’événements récents comme en témoignent une trace d’incendie ayant eu lieu quelques jours avant sur un parking ou contre un mur, un graffiti, ou une inscription libre qui parle de la vie dans le quartier.

Il s’agit pour nous de capter quelque chose de ces strates en nous plaçant dans une posture d’écoute et de regard et en suspendant tout jugement, puis de tenter de restituer poétiquement des bribes de ce que nous avons captés.

Afin de laisser simplement advenir les choses et d’être dans la seule découverte, nous avons effectué cette première plongée dans le territoire avant de nous entretenir avec des habitant.e.s ou des acteurs et actrices du Village olympique.

La saisonnalité, manière dont le temps s’exprime le plus visiblement sur un paysage s’est imposée à nous. Nous avons donc prévu de nous retrouver au Village Olympique au début de chaque saison, carnet de terrain et appareil photographique en main. La conduite de notre projet a été modifiée à cause de la pandémie de Covid mais malgré les contraintes, nous avons pu poursuivre notre recherche. Pendant le confinement, nous avons travaillé à distance, loin l’une de l’autre et loin de notre terrain, puis pendant l’été nous avons toutes deux conduit des ateliers créatifs et rencontré des habitant.e.s des différentes parties du Village olympique pour alimenter le volet humain de notre projet.